Perdrix détail

La perdrix de Protogène

LA PERDRIX

Un visiteur. — Strabon rapporte au Livre XIV chapitre 2 de son ouvrage intitulé Géographie que Protogène réalisa deux tableaux, l’Ialysus et le Satyre à la colonne. Dans ce dernier figurait une perdrix devant laquelle, dit-on, les hommes restèrent tellement ébahis que toute leur admiration allait vers elle, tandis que le Satyre était négligé. Au point même que des éleveurs de perdrix ajoutèrent encore à la surprise générale en apportant avec eux, pour les mettre en face du tableau, des perdrix apprivoisées qui, dès qu’elles apercevaient la perdrix peinte, se mettaient tout de suite à chanter, à la grande joie des oisifs attroupés ! Protogène voyant que le principal passait ainsi au rang d’accessoire, sollicita et obtint des autorités du sanctuaire d’effacer l’oiseau.

Un second visiteur. — Mais le peintre ne pouvait-il pas se réjouir d’un tel enthousiasme ? Les artistes sont décidément des êtres bien susceptibles.

Le visiteur. — La perdrix étant un motif secondaire, elle ne pouvait éclipser le sujet principal du tableau. Certes l’accessoire autrement nommé parergon manifeste la virtuosité de l’artiste, ici il est le mimétisme de la représentation. Toutefois cette démonstration de savoir-faire ne doit pas prendre le pas sur le principal qui réside dans la figure du satyre.

Le second visiteur. — Ce peintre n’aurait pas dû jouer au plus malin. Il se plaint de ce qu’il réussit ! Il n’a pas à peindre ce qu’il ne veut pas que l’on voit.

Le visiteur. — Sans doute. Mais sais-tu qu’à l’origine, le parergon désignait le paysage qui ornait la scène principale ? Il est à la fois le dedans et le dehors de l’œuvre car il en est la marge.

Le second visiteur. — Il est vrai que beaucoup de choses se disent à la marge justement…

Le visiteur. —  Tout à fait.

Le second visiteur. — Aïe, si je comprends bien, il faut toujours faire attention à ce que fait un peintre, où et comment. On n’est pas sorti de l’auberge ! Il y a donc voir et voir.

L’image dans l’image

L’Annonciation de Fra Angelico peint en  1437 dans le Couvent de San Marco à Florence montre la Vierge recevant la visite de l’archange Gabriel qui vient lui annoncer sa futur maternité divine.

Dans cette fresque, par l’utilisation d’une même couleur, le haut de son corps est représenté dans le prolongement du mur et de la porte qui se trouvent derrière elle. Un fin liseré permet tout juste de maintenir la distinction. Le ventre, vide et vierge de toutes images, est prêt à recevoir la présence divine. Il agit en creux.

 

Dans Automat peint en 1927 par Edward Hopper, désormais la femme ne reçoit plus personne. Elle est seule, buvant là son café, devant une chaise qui restera définitivement vide. Le mur devient une vitre sombre, un abîme dans lequel la lumière disparait peu à peu.

 

Ce bout de rectangle noir derrière ce personnage devenu écran célèbre lui aussi à sa façon le mystère de l’image.